Quand la triste Madeleine
Va le soir à l'opéra,
C'est pour promener sa peine
Comme un gros chat angora.
Elle s'était rêvée sirène,
Grande étoile ou petit rat…
Mais en remontant sa gaine,
Elle voit bien qu'elle ne peut pas.
Quand on a la cinquantaine,
Le dos rond et les pieds plats,
Qu'on a souvent la migraine,
Et qu'on rêve d'opéra,
Vaut mieux changer de rengaine,
Se dire « C'est fini basta ! »,
Se préparer un' verveine
Et arroser les freesias.
C'est ce que pense Madeleine
Sur les marches de l'Opéra,
Et lorsque la coupe est pleine
Sous les traces de mascara,
Elle écoule son bas de laine
Dans la pâtisserie d'en bas,
Et avale trois madeleines
Et un petit opéra.
***
Quand hier soir Madeleine
Glissa sur du chocolat,
Elle en perdit ses mitaines
Et sans un bruit s'envola.
On aurait dit une reine
Aux entrechats délicats :
C'était le ballet de Vienne
Sur les planches de la Scala.
« Oh là là ! Quel phénomène !
Bravo ! Quelle maestria ! »
Tous les témoins de la scène
L'applaudirent sous les hourras.
Ils étaient une cinquantaine
Sans falbala ni flafla.
Qu'elle était belle Madeleine
Quand la magie opéra !