Au milieu d'un grand jardin
Plein d'orties et de mourons,
Un bourdon un peu chagrin
Se languit sur un greffon.
"Assez de tous mes pépins !"
Il se plaint et se morfond.
"Ça sent vraiment le sapin
Et j'en ai ras le pompon."
Le greffon d'un ton badin
Se mêle à ses réflexions :
"Que fais-tu de bon matin
Sur le seuil de ma maison ?"
Mais l'insecte peu enclin
Aux grandes conversations
Se tait et ronge son frein.
L'autre poursuit son jargon :
« T'es perdu sur le chemin.
T'as les idées en siphon
Entre brouillard et crachin.
Moi aussi, qui suis greffon
D'un pommier très anodin,
J’ai quelquefois le bourdon.
Mais je sais que les pépins
Font parfois des rejetons
Inattendus, et c'est bien,
Ça met de l'animation. »
Comme il s’est fait un copain,
Le tristounet vagabond
Se sent soulagé un brin.
Il est sympa ce greffon...
Et parcourant le lopin
Dans un vol de rigaudon,
Il fredonne ce quatrain
Au-dessus des bleus chardons :
"Pas de pommier sans pépin,
Pas de neige sans flocon,
Pas de navire sans marin,
Pas de bourdon sans bourdon."