Tous les lundis matin
Dans le bar épicerie
Il ouvre son journal
C'est pas un verre de vin
Ni un verre de whisky
Qu'il commande à Chantal
C'est juste un café noir
Comme il prenait au temps
Où il allait bosser
Il s'accoude au comptoir
Comme il faisait avant
De passer retraité
Il se lève aux aurores
Pour choisir sa chemise
Pour bien se préparer
Il entrouvre le store
Et dépose une bise
Sur le front de l'aimée
Il enfile la veste
Qu'elle lui avait offert
Pour son pot de départ
Il se dit qu'il déteste
Regarder en arrière
Alors il va au bar
Il ne drague pas Chantal
Il ne se plaint de rien
Il ne ricane pas
Il voit ceux qui déballent
Leurs tracas quotidiens
Les écoute tout bas
Il a un brin d'envie
Quand l'un d'entre eux déclare
"C'est l'heure d'aller au taf"
Il a inassouvis
Des besoins de buvard
De trombones et d'agrafes
Il boit son rallongé
Plus lentement qu'avant
Et l'air un peu pensif
A petites gorgées
Paraît qu'il a le temps
Mais tout est relatif
Il n'a pas vu passer
Les années de boulot
La tête dans le guidon
Mais là chaque journée
Il repense au bureau
Le temps lui semble long
Il y a son épouse
L'entretien du jardin
Et les petits-enfants
Quelques uns le jalousent
Mais pour lui ce train-train
Ce n'est pas suffisant
Il s'emmerde il s'emmerde
Mais n'ose pas le dire
On ne comprendrait pas
Certains savent ce qu'ils perdent
Au moment de partir
Mais lui ne savait pas
Alors chaque semaine
Il la commence ici
Dans le bar de Chantal
C'est un peu son domaine
Vingt ans qu'il fait ainsi
Il est du genre loyal
C'est le même tabouret
La même tasse blanche
La voix de la patronne
Quand il sort à regret
C'est à nouveau dimanche
Et dans la rue personne
Il dit qu'il faudra bien
Perdre ces habitudes
Il n'est pas nostalgique
Si le passé revient
Il n'y a pas d'inquiétude
C'est un schéma classique
Ca ne fait que huit mois
Il faut une transition
Après ça ira mieux
Chantal sourit parfois
Pleine de compassion
En regardant le vieux
Et elle aime à se dire
Que pour certains fidèles
Elle joue un joli rôle
Elle est un souvenir
D'une époque plus belle
D'une période plus drôle
Un jour il reviendra
Et ce sera dimanche
Il sera en famille
Les enfants au soda
Pour lui une bière blanche
Madame une camomille
Mais tous deux souriront
En pensant aux lundis
Du café rallongé
Aux silences qui font
Parfois les bons amis
Qu'on n'ose déranger