C'est la nuit des autres qui tombe à la fin du jour. Pas la mienne.
Tombée sur les genoux, la nuit des autres ! Tout écorchés, les genoux de la nuit des autres ! Les égratignures, rouges et gibbeuses comme la lune, la picotent, et sur la peau des rotules, ça devient parfois bleu. Mais pas de quoi faire des croûtes qu'on arrache avec l'ongle. L'ongle de la nuit des autres lui gratte plutôt le haut du crâne. Elle se dit qu'elle est encore tombée, sans faire exprès, comme ça d'un coup, sans bien savoir pourquoi. La nuit des autres a encore chu et s'est écorchée en dégringolade de dégingandée.
C'est la nuit des autres qui tombe, pas la mienne.
La mienne, de nuit, elle traîne encore dans un troquet. Sa robe tachée de vin sombre en froufrous emmêlés se froisse sous la main goulue de ses rêves. Ma nuit à moi, ce n'est pas qu'elle ne veut pas tomber, mais elle s'accroche au comptoir, tenace, elle ne glisse pas, comme on le dit du soir.
On le dit, ça, non, "le soir glisse" ? "Le soir glisse dans la vallée qui l'avale" ?
Mais c'est le soir des autres qui glisse. Il glisse sur le carrelage tout frais humide à la fermeture des bars. Le soir des autres s'aplatit sous le soleil lourd qui se couche. Ça s'effondre, ça valdingue, le soir des autres.
Mon soir à moi, il ne glisse pas : il valse. Il valse avec ma nuit, ils jouent à chien et loup, à l'heure bleue du poème. Bras dessus bras dessous. Farandole et rigolade passé minuit.
Mais c'est le minuit des autres qui sonne, qui lui sonne les cloches à la nuit. Pas le mien.
Mon minuit à moi ne fait pas de bruit. Distingué, très discret, il ne veut pas déranger la nuit à qui le soir compte fleurette. Ce n'est pas comme ça qu'elle va tomber, ma nuit.
C'est bête une insomnie.