Sur la théière de Tante Huguette,
Une araignée tisse sa toile,
Une mouche explore des miettes
Et la poussière dessine un voile.
Une tasse sale est posée
(Ce n'était pas son habitude)
Sur la nappe en coton brodé
Qu'avait donnée Tante Gertrude.
Et du sucrier grand ouvert
(Celui en cristal de Bohême)
Dépasse le manche de la cuiller
Qui est gravé à ses emblèmes.
Sur la soucoupe à gros motifs
Une tache a formé un coeur.
Ca donne un petit air festif
A côté des galettes au beurre.
A l'oeil nu personne ne devine
Que le thé était parfumé
A la ciguë, à la morphine...
Tante Huguette a vite passé.
Sous mes larmes de crocodile
Que le notaire croit si sincères,
Je prends une voix si fragile,
Une voix douce de cimetière :
"Une chose me ferait plaisir",
J'arrive à peine à chuchoter,
"Garder d'Huguette un souvenir...
Puis-je prendre le service à thé ?"
Devant mon air inconsolable,
Le brave homme me fait un clin d'oeil :
"C'est une demande raisonnable
Si ça soulage votre deuil..."
Dans un mois ou deux tout au plus,
J'inviterai tante Gertrude,
Pour parler de la disparue
Et alléger nos solitudes.
Le passé refera surface
Lorsque nous dirons son prénom.
Le sucrier aura sa place
Sur la table de mon salon.
Et si Gertrude a quelques larmes,
Je lui tendrai un fin mouchoir
Aux dentelles blanches et parme
Et aux effluves d'encensoir.
Et pour apaiser sa migraine
Je verserai dans la théière
Un mélange digitale verveine
Sucré à la petite cuiller.