Un enfant est mort.
Un enfant de 3 ans est mort.
Un enfant de 3 ans est mort noyé.
Un enfant de 3 ans est mort noyé dans la mer Egée en tentant d'atteindre l'Europe.
Vous seul savez si vous avez ressenti la même peine à chacune de ces phrases ou si votre compassion a disparu après la dernière. Avez-vous été frappé par la même sidération, la même incrédulité, la même révolte, le même refus, le même deuil impossible face à l'enfance brisée ?
Il n'est pas seul cet enfant. Des centaines de frères et sœurs, partageant le même drame, flottent, petits corps éteints, quelque part dans l'eau des possibles, dans ce grand cimetière liquide qui s'ouvre tout près, à notre porte. Cimetière sans gerbe de fleurs, sans cérémonie, sans lamento que celui des vagues salées repenties, mais bientôt coupables à nouveau.
Bien sûr, d'autres enfants meurent, ailleurs. D'autres enfants se noient. Depuis toujours, dans cette grande partie d'échecs qu'est la vie, beaucoup quittent le jeu avant d'avancer leurs pions. Mais les règles ne sont pas les mêmes pour tous.
Un enfant de 3 ans est mort, qui aimait la vie et courir et chanter, qui aimait ses parents et voir le jour se lever. Un enfant comme un autre, qui savait dire son nom et qui savait déjà qu'on ne peut aimer que ce que l'on nomme.
Alors donnons-leur un nom, apprenons leur parcours, leur histoire. Identifions-les pour leur rendre une identité, une existence. L'homme qui crève de froid dans la rue, qui l'appelle encore par son nom ? Et ces milliers de gens souffrant dans l'indifférence, qui les nomme encore ?
Je ne veux plus entendre de chiffres, je veux connaître leurs noms.
On ne porte pas le deuil d'un nombre. Les nombres sont faits pour l'Histoire, pour se souvenir, pour ne pas répéter les mêmes erreurs qui seront pourtant répétées. Mais tant qu'on peut agir, il faut nommer les êtres car ils sont nos frères, nos sœurs, nos enfants, ceux qui portent avec nous le nom d'humanité.