Ce midi en ouvrant ma boîte aux lettres, je découvre un faire-part de naissance. Evidemment, je suis très heureuse pour les parents, qui étaient mes amis… Oui je dis « étaient » car certains nouveaux parents ne sont plus les amis de personne une fois qu’ils sont trois… Eventuellement ils entament une relation passionnelle avec le pédiatre de leur enfant ou leur nounou, ou alors se retrouvent dans une sorte de club, un groupe de parole où se reconnaissent tous les heureux esclaves … pardon, géniteurs.
Nonobstant la crainte de cette perte amicale, je rédige illico une petite carte de félicitations où je souhaite tout le bonheur du monde à la petite fille de 3.2 kg qui vient de naître. Ainsi commence ma prose :
« Tous mes vœux de bonheur à la petite famille et bienvenue à la petite Wezyanah. » Oui, beaucoup de nouveaux parents se sont lancé un défi de taille : mettre le maximum de lettres rares dans le prénom de leur progéniture. On ne sait jamais, pour réussir dans la vie il vaut peut-être mieux avoir un prénom qui dépasse les 30 points au Scrabble… Les pauvres enfants… Je rappelle que l’alphabet, sauf grande réforme de l’Education Nationale (et on n’est à l’abri de rien) commence encore par un A… Ces mômes ne seront jamais invités aux anniversaires des petits copains avant le CE2, quand tout le monde saura faire la différence entre un K et un W.
Bref… Je reprends la rédaction de ma carte et soudain, un doute, un questionnement, voire une angoisse existentielle m’assaillent… S’il est précisé que Wezyanah mesure 49cm pour 3.2kg, dois-je en faire mention dans mon courrier ? Dois-je dire que c’est un beau bébé, bien proportionné ? Quarante-neuf centimètres avec un père basketteur, c’est pas un peu petit ? Dans le doute, je m’abstiens.
Vous l’aurez compris, ce petit billet d’humeur tente de remettre en cause (ou du moins comprendre) cette habitude ancestrale qui consiste à préciser dans tout faire-part qui se respecte les mensurations du nouveau-né.
Il s’agit probablement d’une information codée pour les amis et la famille qui souhaiteraient lui offrir quelque chose. Un message subliminal signifiant « Oublie la layette un mois pour ton cadeau de naissance, ses 4.8kg je peux te dire que je les ai sentis passer. ». C’est une raison possible… Ou cela permet de refocaliser l’attention des visiteurs du poupon, qui se disent intérieurement « qu’est-ce qu’il a les oreilles décollées ! qu’est-ce qu’il a les oreilles décollées ! », et qui ne pouvant décemment pas dire cela à la jeune mère en extase devant Dumbo, préfèrent esquiver par un « et quelle taille il faisait déjà à la naissance ? ».
Ou alors il y a un concours, on prend des paris. Les parents se font bookmakers. Dans ce cas-là faut le dire ! Six contre 1 que le bébé de Sophie pèsera 500g de plus que celui de Bérénice.
Le prénom et la date de naissance, j’en vois tout à fait l’utilité. Cela évite d’appeler Machin tous les marmots de vos copines. La date de naissance également. Vous pardonnerez plus facilement à votre meilleure amie de ne pas être venue à votre spectacle de danse du 17 juin si sa fille est née le 16. Mais le poids et la taille… Mis à part complexer les gosses, ça sert à quoi de les diffuser à la planète entière ?? Surtout qu’il y a forcément une ancienne collègue qui a de la mémoire pour ces choses-là… « Oh ! Carine ! Depuis le temps ! Et là c’est ta fille ? Euh… Zoéxia si je ne me trompe pas… Attends, 52cm, 4.5kg à la naissance… Elle a grandi ! 8 ans déjà… Ben en tout cas elle est toujours au-dessus de la courbe de poids hein ! Bon, allez, ça m’a fait plaisir de te voir ! »
J’estime, mais ce n’est que mon avis, qu’on peut très bien remplacer l’information chiffrée du faire-part par quelque chose de plus vague, ou plus poétique. Un sobre « la maman et le bébé se portent bien » indiquera une taille et un poids dans les standards (je ne dis pas « dans les normes », ça m’horripile). Ou « Papa et maman ont hâte que leur petite crevette grandisse vite pour rejoindre la maison du bonheur », tout commentaire est inutile. Ou, criant d’honnêteté malgré les euphémismes : « Maman est un peu fatiguée et Papa commence à s’habituer au babillage de leur grand gaillard. » C’est absolument limpide, ils n’en peuvent plus, c’est un chiard doublé d’un goinfre de plus de 5kg qui braille tout le temps pour avoir le sein. Vous voyez, pas besoin de chiffres.
Pour convaincre les plus réticents d’entre vous, faites ce simple effort d’imagination. Transposez la fâcheuse habitude du faire-part de naissance dans un autre milieu : la sphère professionnelle.
Un matin à votre bureau le premier mail que vous ouvrez vous informe de l’arrivée d’un nouveau collaborateur.
« La direction est très heureuse de vous annoncer l’arrivée de son nouveau chef comptable, Patrice Mougeot. Il a pris ses fonctions le 15 septembre 2011. Il mesure 178cm et pèse 89kg. J’espère que vous lui accorderez le meilleur accueil. » Non, vraiment un peu de sérieux, c’est le coup à se faire appeler « gros bébé » par tous ses collègues…
Donc voilà, après ces réflexions et cet argumentaire imparable, je termine ma lettre de félicitations en les embrassant bien fort et en joignant un petit cadeau… Un Dumbo en peluche qui n’en a rien à faire que la petite Wezyanah soit plus grande que lui, bien que sur son étiquette de pachyderme, derrière l’indication de lavage à 30°C, il soit noté 29cm…