On nous dit "c'est la guerre !"... mais nous n'avons pas d'arme...
L'eau brillant dans nos yeux n'est pas haine, mais larme,
Nos bras faits pour l'étreinte ballottent de stupeur.
On nous dit "c'est la guerre !", moi je dis "c'est la leur".
Notre ciel est immense, et nous pouvons danser,
Et nous pouvons sortir dans nos rues éclairées.
Et pas de couvre-feu, pas de bombardements,
Pas de villes décimées, de massacres d'enfants.
On nous dit "c'est la guerre !"... mais la guerre est ailleurs,
Chez ces milliers de gens qui tombent crient et meurent.
La guerre c'est autre chose : trembler à chaque pas,
Avoir faim, avoir peur de l'ombre des soldats,
C'est enjamber des corps tous les jours et partout
Dans des rues de silence aux murs percés de trous,
C'est le cœur qui se serre, c'est le ventre noué,
C'est l’œil déjà éteint de la bête traquée,
Et s'endormir à peine de sa vie en suspens,
Ne plus savoir rêver que de songes de sang.
De ces nuits sans sommeil, s'éveiller sans espoir.
C'est oublier la vie et perdre la mémoire.
La photo d'un foyer là où fume une ruine.
Une voix disparue dans l'écho de la bruine.
C'est l'angoisse à chaque heure. Et des familles brisées.
C'est l'ami qu'on attend. L'absence d'un baiser.
Nous pleurons aujourd'hui des victimes innocentes,
Et nous n'oublierons pas la plaie laissée béante.
Nous devons les nommer, nous devons dire leur nombre
(Mais ceux qui meurent là-bas ? Ne sont-ils que des ombres ?).
On nous dit "c'est la guerre puisqu'il nous faut combattre !".
Oui, une guerre contre eux, ceux que l'on doit abattre,
Cette poignée de fous voulant notre colère,
Désirant qu'elle grandisse contre une part de nos frères.
L'ennemi plein de haine nous invite à sa table,
Éveille notre courroux de ses feux redoutables.
Il veut nous faire entrer dans son triste combat...
Mais je dis poings serrés : je ne me battrai pas.
Je veux rester debout, et libre, et dire la vie.
Je ne me battrai pas, pas avec un fusil.
Les mots sont des grenades qu'il faut dégoupiller
Dans les mains de tous ceux qui pourraient vaciller.
Dans ce monde où souvent la paix se terre et tremble,
Apprendre à se parler et à revivre ensemble,
Défaire les murs si hauts qu'on a laissé dresser,
Chanter d'une même voix, même si elle est blessée.
Contre la nuit trop noire, il faut de la lumière,
Il faut construire des ponts que le savoir éclaire,
Et si les mots sont vains, alors je serai vaine,
Mais je ne vendrai pas ma conscience à la haine.